Elle
frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur la
muraille qui devint transparente. Derrière, la table était mise:
elle était couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle
brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s'étalait
une magnifique oie rôtie, entourée de compote de pommes: et voilà
que la bête se met en mouvement et, avec un couteau et une
fourchette fixés dans sa poitrine, vient se présenter devant la
pauvre petite. Et puis plus rien: la flamme s'éteint.
L'enfant prend une troisième allumette, et elle se voit
transportée près d'un arbre de Noël, splendide. Sur ses branches
vertes, brillaient mille bougies de couleurs: de tous côtés,
pendait une foule de merveilles. La petite étendit la main pour
saisir la moins belle: l'allumette s'éteint. L'arbre semble monter
vers le ciel et ses bougies deviennent des étoiles: il y en a une
qui se détache et qui redescend vers la terre, laissant une
traînée de feu.
«Voilà quelqu'un qui va mourir » se dit la petite. Sa vieille
grand-mère, le seul être qui l'avait aimée et chérie, et qui était
morte il n'y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu'on voit
une étoile qui file, d'un autre côté une âme monte vers le
paradis. Elle frotta encore une allumette: une grande clarté se
répandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mère.
- Grand-mère, s'écria la petite, grand-mère, emmène-moi. Oh! tu
vas me quitter quand l'allumette sera éteinte: tu t'évanouiras
comme le poêle si chaud, le superbe rôti d'oie, le splendide arbre
de Noël. Reste, je te prie, ou emporte-moi.
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et
enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mère le plus
longtemps possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et
elle la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de
froid, ni de faim, ni de chagrin: c'était devant le trône de
Dieu.
Le lendemain matin, cependant,
les passants trouvèrent dans l'encoignure le corps de la petite ;
ses joues étaient rouges, elle semblait sourire ; elle était morte
de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des
joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main,
toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
- Quelle sottise ! dit un
sans-cœur. Comment a-t-elle pu croire que cela la
réchaufferait ?
D'autres versèrent des larmes sur l'enfant; c'est
qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues
pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle
avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa
grand-mère la plus douce félicité.