Elle leur faisait le ménage et leur
tenait la petite maison bien propre et bien en ordre, et les nains
s'en allaient le matin chercher dans la montagne les minéraux et
l'or; ils ne revenaient qu'à la nuit, et il fallait alors que leur
repas fût prêt. Toute la longue journée Blanche-Neige restait
seule, et les gentils petits nains l'avertirent prudemment et lui
dirent:
-"Tiens-toi bien sur tes gardes à cause de ta belle-mère: elle ne
tardera pas à savoir que tu es ici. Ne laisse donc entrer
personne!"
La reine, en effet, quand elle crut avoir mangé le foie et les
poumons de Blanche-Neige, ne douta plus dans sa pensée d'être de
nouveau la première et la plus belle du royaume. Elle s'en alla
devant son miroir et lui parla:
Miroir, gentil miroir,
dis-moi, dans le royaume
quelle est de toutes la plus belle ?
Alors le miroir répondit:
Dame la reine, ici vous êtes la plus belle,
Mais Blanche-Neige sur les monts
Là-bas, chez
les sept nains,
Est belle plus que vous, et
mille fois au moins !
Elle frémit, car elle savait que le miroir ne pouvait pas dire un
mensonge, et elle sut ainsi que le chasseur l'avait trompée et que
Blanche-Neige vivait toujours. Alors elle se mit à réfléchir et à
réfléchir encore au moyen de la supprimer, car si la reine n'était
pas la plus belle de tout le pays, la jalousie la dévorait et ne
la laissait pas en repos.
Et pour finir, quand elle eut forgé quelque chose, elle se
barbouilla le visage et se rendit méconnaissable en s'habillant
comme une vieille colporteuse:
-"De beaux articles à vendre! Rien que du beau, je vends!"
Blanche-Neige vint regarder à la fenêtre et cria:
- Bonjour, ma bonne dame, qu'est-ce que vous vendez?
- Du bel article, du bon article, répondit-elle, du lacet de
toutes les couleurs!
En même temps elle en tirait un pour montrer: un beau lacet tressé
de soie multicolore.
" Cette brave femme, pensa Blanche-Neige, je peux la laisser
entrer!"
Elle déverouilla et la fit entrer pour lui acheter le beau lacet
multicolore qu'elle voulait mettre à son corset.
- Mais mon enfant, de quoi as-tu l'air? s'exclama la vieille.
Viens ici, que je lace un peu proprement!
Blanche-Neige, sans méfiance, vint se placer devant la vieille et
la laissa lui mettre le nouveau lacet; mais la vieille passa si
vite le lacet et le serra si fort que Blanche-Neige ne put plus
respirer, suffoqua et tomba comme morte.
- Et voilà pour la plus belle! ricana la vieille qui sortit
précipitament.
Le soir venu
(mais ce n'était pas bien longtemps après) les sept nains
rentrèrent à la maison: quel ne fut pas leur effroi en voyant leur
chère Blanche-Neige qui gisait sur le sol, inerte et immobile
comme si elle était morte! Ils la redressèrent tout d'abord, et en
voyant comme elle était sanglée dans son corset, ils se hâtèrent
d'en couper le lacet; le souffle lui revint petit à petit et elle
se ranima peu à peu. Lorsque les nains apprirent ce qui lui était
arrivé, ils lui dirent:
"Cette vieille colporteuse n'était nulle autre que la maudite
reine. A l'avenir, garde toi bien et ne laisse entrer nul être
vivant quand nous n'y sommes pas!"
La méchante femme, de son côté, aussitôt rentrée chez elle s'en
alla devant son miroir et le questionna:
Miroir, gentil miroir,
dis-moi, dans le royaume
Quelle est de
toutes la plus belle?
Et le miroir répondit comme devant:
Dame la
reine, ici, vous êtes la plus belle,
Mais Blanche-Neige sur les monts
Là-bas, chez les sept
nains,
Est plus belle que vous, et mille
fois au moins!
Son sang s'arrêta quand elle entendit ces paroles qui lui
révélaient que Blanche-Neige, une fois encore, avait pu échapper à
la mort.
"A présent, pensa-t-elle, je vais composer quelque chose à quoi tu
n'échapperas pas!"
Recourant alors aux artifices des sorcières qu'elle connaissait
bien, elle fabriqua un peigne empoisonné. Ensuite elle se grima et
s'habilla en vieille femme, mais avec un autre air que la fois
précédente. Ainsi travestie, elle passa les sept montagnes pour
aller jusque chez les sept nains, frappa à la porte et cria:
- Beaux articles à vendre! Beaux articles!
Blanche-Neige regarda dehors et cria:
- Allez vous-en plus loin! Je ne dois laisser entrer personne dans
la maison!
- Il n'est pas défendu de regarder! répondit la fausse vieille en
tirant le peigne empoisonné pour le lui faire voir à travers la
fenêtre.
La petite le trouva si beau qu'elle ne put pas résister et qu'elle
ouvrit la porte pour acheter le peigne à cette vieille femme.
- Et à présent laisse-moi faire, lui dit la vieille, je vais te
peigner un peu comme il faut!
La pauvre Blanche-Neige, sans réfléchir, laissa faire la vieille,
qui lui passa le peigne dans les cheveux; mais à peine avait-elle
commencé que le poison foudroya Blanche-Neige, qui tomba de tout
son long et resta là, sans connaissance.
- Et voilà pour toi, merveille de beauté! ricana la vieille qui
s'éloigna bien vite.
Par bonheur, la nuit ne tarda
pas à venir et les sept nains à rentrer. En voyant
Blanche-Neige étendue sur le sol, ils pensèrent tout de suite à
l'affreuse marâtre, cherchèrent ce qu'elle avait bien pu faire et
trouvèrent le peigne empoisonné; dès qu'ils l'eurent ôté de ses
cheveux, Blanche-Neige revint à elle et leur raconta ce qu'il lui
était arrivé. de nouveau, ils la mirent en garde et lui
recommandèrent de ne jamais plus ouvrir la porte à qui que ce
soit.